toujours la guerre
le tonnerre des bombes
ma voix enrouée
Mimosa
Ecrit au soleil d’un matin de début mars, lorsque les gelées nocturnes sont encore fréquentes.
j’ai oublié de rentrer le mimosa
il a gelé cette nuit
j’aurais du le savoir
le rentrer, le protéger
c’était ma responsabilité
il n’y peut rien le mimosa
si je l’ai mis en pot
dans ce pays froid
Première fois
c’est la première fois que je monte sur une scène slam
pas de stress, c’est pas un drame
je parle souvent en public
même si d’habitude c’est scientifique
on a tous une première fois
je me souviens précisément
du jour, de l’heure, de l’endroit
premier baiser, premiers tourments
on a plein de premières fois
une saveur,
une odeur
une musique
un poème
c’est différent la première fois
l’exaltation, l’ivresse
la porte qui s’ouvre
les promesses
d’un monde nouveau
la première fois que j’ai aligné
trois mouvements, à jongler
j’étais le roi du monde
la première fois que j’ai pigé
la relativité
même si j’ai un peu oublié
Il y a des première fois
on voudrait les revivre
redécouvrir Guernica
Pink Floyd
la Sagrada Familia
nouvelle idée
nouvel émoi
c’est l’usine
à dopamine
qui turbine
c’est ça qui me fait vivre
les premières fois qui restent
pourtant
il y a des premières fois
on voudrait que ce soit les dernières
le premier râteau !
et puis
la première gifle,
le premier coup
donné, ou reçu,
on s’en souvient
toujours
j’ai de la chance
je n’ai pas besoin
de tous les doigts de la main
pour les compter
pour certains, pour certaines,
c’est tous les jours
beaucoup
est-ce qu’ils se souviennent encore
de la première fois ?
il y a des premières fois
on voudrait que ce soit les dernières
on voudrait les défaire
Lu à l’openmic SpeakEasy (au Pianofabriek à St-Gilles), le 3 mars 2022.
Rue Neuve, 8 février 2022
ceux qui se lèvent
mettent leur masque
prennent le chien
ceux qui évitent le vélo qui passe
volle gas*
ceux qui regardent les pigeons
les aveugles
les yeux rivés aux écrans
celle qui « voilà ! »
celle qui « tu vois, tu comprends ? »
celles qui passent avec leur sac
Zara, Chanel ou Aldi
ou leur sac à main
celui qui reste
assis par terre
sans jambe
sa chaise derrière lui
celui qui est invisible
pour tous ces passants qui passent
avec leurs sacs
avec leurs amis
avec leur famille
celui qui sourit
celui qui espère
accrocher un regard
recevoir une piécette
celle qui passe avec sa poussette
les amoureux
les voyageurs
qui ne voient pas
la main tendue
ceux qui cherchent leur chemin
les plaques de rue
les GPS
les guides de voyage
ceux qui « c’est par là »
ceux qui tremblent dans le vent
celui qui reste
cinq minutes
une cigarette
celle qui
il y en a une
qui cherche une pièce de monnaie
on n’a plus de pièce de monnaie
aujourd’hui
carte de banque
QR code
payement mobile
celui qui s’époumone
ceux qui se cachent
derrière leur masque
et l’enfant
qui le montre du doigt
ceux qui roulent
des mécaniques
ceux qui « allo t’es où ? »
ceux qui « wacht even »
ceux qui parlent
tellement vite
ceux qui photographient
surtout faire un effort
ne pas le voir
ne pas le remarquer
bien faire semblant
en trottinette
rapide
c’est facile
celles qui cheveux roses
celles qui quincaillerie
celles qui éclatantes
celui-là tout de noir
les joggers
surtout pas ralentir
les copines
et leurs rires
rester au paradis
et le monde des pigeons
indifférents
qui circulent
qui picorent
qui s’écartent
qui reviennent
l’autre monde
invisible
du trottoir
« volle gas » : plein gaz, en bruxellois.
Ecrit rue Neuve à Bruxelles, lors d’un atelier d’écriture animé par Laurence Vielle, le 8 février 2022 au théâtre National.
Haïkus – janvier 2022
début de la visite
le gardien
regarde déjà sa montre
Pas dormir
pas dormir
les sirènes
les cris
le vent
les bruits
les lumières
en rond dans ma tête
fermée
bloquée
pas dormir
combien de temps ?
impossible d’oublier
ton départ
les gyrophares
combien de temps ?
revenir
tenir
pas dormir
t’accueillir
dans un heure
dans dix jours
attendre
pas dormir
guetter
la fenêtre
un bruit
un éclair
surtout
pas dormir
Ecrit à un atelier d’écriture de Laurence Vielle
Traverser au rouge
Un livre accordéon de 13 haïkus urbains, dessins à l’encre et au crayon.
sortie du métro –
avec son bouquet de fleurs
depuis 20 minutes
manteau rouge
perdu dansla foule
je ne vois qu’elle
Étoiles
ils ont éteint les étoiles
les lumières de la ville
la fumée des usines
plein feu dans les stades
que reste-t-il pour les astronomes, les poètes, les amoureux ?
et pour nous faire rêver ?
sinon un écran de télé
ou un papier cadeau
ils ont éteint les étoiles
il reste les réverbères
les publicités
les illuminations des supermarchés
quelques gyrophares
les témoins des caméras de surveillance
et dans la nuit
les yeux des loups qui fondent sur leur proie.
ils ont éteint les étoiles
sont-elles encore là
derrière les nuages et la poussière ?
ils ont éteint ce rêve d’infini, d’un ailleurs, d’un meilleur
sans étoile, comment trouver le Nord ?
ils ont éteint les étoiles
gardez toujours une boîte d’allumettes
un briquet, un charbon ardent
pour les rallumer
pour raviver la flamme
Vieillir
Vieillir
toute la vie
j’ai grandi
à quel moment
ai-je commencé à vieillir ?
au départ, tout va bien
un imperceptible changement
un autre
rien, quoi
longtemps, insouciant
je gambadais sur les chemins de montagne
toujours aussi fort
à dédaigner la fatigue
à enchaîner les sorties
un jour pourtant
un obstacle un peu plus élevé
une nuit trop courte
ou le hasard
j’ai trébuché
pour la première fois
je me suis relevé, oh, sans effort
mais voilà
je n’étais plus invincible
2022
je vous souhaite
de réaliser
tous ces rêves
soi-disant impossibles
la paix sur Terre
éradiquer la misère
et puis, à l’improvisade
des roses sans épine
le Galibier ou le Tourmalet en monocycle
danser sur sa tête
marcher sur la Lune
courir dans les nuages
s’abreuver au feu d’un volcan
pour les rêves raisonnables
à vous de voir
sans oublier
de viser l’étoile
tout au loin
Note: « à l’improvisade« , extrait de Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, Acte I, Scène IV.