Vieillir
toute la vie
j’ai grandi
à quel moment
ai-je commencé à vieillir ?
au départ, tout va bien
un imperceptible changement
un autre
rien, quoi
longtemps, insouciant
je gambadais sur les chemins de montagne
toujours aussi fort
à dédaigner la fatigue
à enchaîner les sorties
un jour pourtant
un obstacle un peu plus élevé
une nuit trop courte
ou le hasard
j’ai trébuché
pour la première fois
je me suis relevé, oh, sans effort
mais voilà
je n’étais plus invincible
vieillir
le médecin m’a dit
« à votre âge… »
bientôt les lunettes de lecture
les petites blessures
même les écorchures
cicatrisent plus lentement
qu’à vingt ans
vieillir
c’est s’habituer aux crèmes, aux médocs
je rechignais
à devoir prendre une pilule
chaque matin
j’étais révolté
désormais fataliste
j’accepte
de voir leur nombre augmenter
bientôt le pilulier
vieillir
les cris des enfants
deviennent agaçants
il y avait les vieux cons
ils sont toujours là
ne rêvons pas
maintenant s’y ajoutent
les jeunes idiots
vieillir
c’est ne plus se souvenir
d’avoir été jeune
qu’y avait-il en moi
de révolté ?
que voulais-je casser?
changer ?
édifier ?
étais-je mieux
que les vieux ?
vieillir
avoir peur de sortir
ce qui est étrange
nouveau
différent
m’angoisse facilement
je n’ose plus
grimper ce chemin de montagne
faire quelques pas la nuit
même dans mon quartier
me fait flipper
vieillir
ne plus s’y retrouver
dans les nouveautés
bitcoins, web tv,
wc connecté
ou gaufrier télécommandé
autant d’énigmes
ésotériques
ah ! les comprendre
si je voulais vraiment
sûr
je pourrais
mais voilà
plus envie
cent fois j’ai gravi ce chemin de montagne
aujourd’hui, il est plus escarpé
je bute sur les rochers
je bute sur les mots
j’oublie
j’oublie les bonheurs de la vie
les rancœurs
plus rien n’est grave
je sens que tout est calme
je ne sens plus grand-chose
tout va bien
tout
va
bien
tout…