Un conte de Noël
Avant de s’endormir, Julien regarda encore sa boîte à trésor. Dans les rayons de lune, les quelques grains de sel qu’elle contenait brillaient déjà un peu. Demain, à la pleine lune, ils seraient resplendissants. Il pourrait sortir et en récolter assez pour remplir sa petite boîte. Il en était sûr. Même si son père l’avait interdit. Il l’avait surpris, il y a trois mois, et lui avait raconté que des monstres rôdaient la nuit dans les salines. Des histoires pour les enfants, vraiment, se disait Julien. D’ailleurs, il n’en avait jamais vu.
Depuis plus d’un an, il sortait régulièrement la nuit, à la recherche de ces grains de sel merveilleux. À la lumière de la lune – surtout quand elle était pleine –, il avait remarqué des petits points lumineux dans les tas de sel stockés au bord des salines. Il s’était approché. Il les avaient récoltés un par un, fasciné par leur lumière. Il n’y en avait pas beaucoup, quelques grains dans un gros tas. Mais au fil des mois, au fil des lunes, il en avait amassé trois ou quatre pincées dans une petit boîte.
La nuit suivante, Julien enjamba discrètement sa fenêtre dès que la lune se leva. Avec sa lumière, il pouvait se repérer facilement. Il devait aller plus loin maintenant, car il avait déjà exploré toutes les salines des environs. Comme c’était une des plus longues nuits de l’année, il aurait le temps.
Enfin, il commençait à repérer des petits grains de lumière. Mais cette nuit, il avait du mal à les repérer. Penser aux fameux monstres de son père le perturbait. En plus, ce n’était pas facile de les saisir avec ses doigts engourdis par le froid. Ah, un autre ! Et encore un autre…
Un craquement. Quel était ce bruit ? Il avait du rêver. Ou alors un rat. Encore quelques grains, la récolte serait bonne finalement.
Cette fois, c’était un bruit de pas ! Il en était sûr. Quelqu’un avait cogné un obstacle. Julien partit silencieusement dans la direction opposée. Le bruit de pas se rapprochait pourtant. De plus en plus. Julien se mit à détaler. Il trébucha et tomba sur un tas de sel. Un homme le rattrapa. Il allait l’immobiliser, le tuer peut-être. Julien saisit une poignée de sel à terre et lui jeta dans les yeux. L’homme le lâcha en hurlant. Cela lui donna juste le temps de s’échapper, de courir et se cacher dans une cabane. Il entendit l’homme jurer, chercher, mais il finit par s’éloigner. Il n’osa pas encore bouger, tellement il avait eu peur.
Il allait ouvrir la porte quand il entendit un bruit derrière lui.
« Qui est là ? dit un vieillard en allumant une chandelle.
– Attention, la lumière va l’attirer !
– Ne t’inquiète pas, les volets sont bien fermés. Dis-moi plutôt qui tu es et ce que tu fais ici. »
Le vieillard lui parlait gentiment. Julien était plutôt soulagé. Il lui raconta son histoire, le sel qu’il récoltait patiemment, son éclat fascinant, la pleine lune, la poursuite de cette nuit…
« Ah, mon petit, tu en as de la chance, dit le vieillard.
« Si, si, je t’assure, reprit-il, devant les sourcils froncés de Julien. Il n’y en a pas beaucoup qui ont entendu parler de ce sel. Ils sont encore moins nombreux ceux qui peuvent le reconnaître. Il faut de bons yeux pour cela. Les miens sont trop vieux maintenant. Quand j’avais ton âge, j’en ai aussi récolté. Mais j’étais le seul de mes frères et sœurs à le distinguer. Mon grand-père m’avait expliqué.
« Sais-tu d’où vient le sel marin, celui qu’on récolte ici ? Pourquoi la mer est salée ?
– Non, je n’y ai jamais pensé, dit Julien.
– Et bien, ce sont les larmes des hommes. Les larmes sont salées, tu l’as sûrement remarqué. Elles coulent vers l’eau des rivières, des fleuves, vers la mer. Ce sel s’est accumulé au fil des siècles. Toutes ces larmes, c’est la tristesse, le désespoir. Celles-là donnent le sel ordinaire.
« Mais parfois, il y a des larmes de bonheur. C’est le sel de ces larmes-là qui brille à la pleine lune et que tu récoltes. Ton sel, c’est du sel de bonheur. Il vaut cher, très cher. C’est pour cela que cet homme te poursuivait. Il voulait te le voler.
« Quand tu mets ce sel dans un plat, cela porte chance à ceux qui le mangent. Ça leur donne une année entière de bonheur. Mais ils ne doivent pas le savoir. Surtout pas. Tu dois absolument garder le secret. Sinon, cela n’a aucun effet.
« La lune ne va tarder à se coucher, tu devrais rentrer maintenant. Et dans quelques jours, pour le soir de Noël, met discrètement une ou deux pincées de ton sel dans le repas que ta maman va préparer. Ce sera le plus beau cadeau que tu puisses lui faire. »
magnifique conte Alain
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